Cinéma

Wet Monday de Justyna Mytnik : une immersion sensorielle dans le traumatisme adolescent

Une réalisatrice polonaise prometteuse à la frontière du réel et du symbolique

Justyna Mytnik, formée à l’École nationale de cinéma de Łódź et déjà remarquée pour ses courts métrages engagés (How to Become a Pope?, Apocalypse), développe une écriture cinématographique axée sur la mise en tension des mythes culturels et des douleurs intimes. Elle s’intéresse aux zones grises de l’identité et de la mémoire, et cela transparaît avec force dans Wet Monday, son premier long-métrage.

Le film s’inscrit dans une tendance contemporaine du cinéma polonais qui mêle introspection psychologique, poids de la tradition, et regard critique sur les rites sociaux. On y retrouve cette volonté de confronter la culture populaire (ici, le Lundi Mouillé – Śmigus-Dyngus, rite pascal où les garçons jettent de l’eau sur les filles) à ses dérives. Mytnik interroge le glissement de l’innocence vers la violence, et la manière dont le corps féminin devient malgré lui le réceptacle de normes brutales, parfois intériorisées par l’entourage.

Une narration à la fois poétique et déroutante

Le film suit Klara, 15 ans, qui vit dans un village rural et porte en silence un traumatisme lié à ce rituel festif. L’événement déclencheur – une agression sexuelle passée sous silence – surgit sous la forme d’un malaise diffus, que la réalisatrice traduit en images avec une sensibilité indéniable. Klara fuit l’eau, fuit les garçons, et se rapproche de Diana, une adolescente étrange, en marge, passionnée par l’ésotérisme.

Wet Monday de Justyna Mytnik : une immersion sensorielle dans le traumatisme adolescent

Le récit navigue entre réalisme rural et onirisme symbolique. On passe de scènes intimes aux teintes sourdes à des séquences presque irréelles, où Klara devient une sorte de quêteuse initiatique, à la recherche d’œufs dorés dans une forêt mystique. Ce double niveau de lecture, s’il permet d’exprimer le refoulé psychique de l’adolescente, peut aussi perdre le spectateur tant certaines transitions paraissent abruptes. Il y a dans cette alternance un vrai pari esthétique, mais pas toujours maîtrisé. Par moments, le film semble vouloir tout dire à la fois : la douleur, la honte, le désir de transcendance, la colère, la sororité. Et cela brouille parfois la clarté du propos.

Une direction d’acteurs finement ciselée

Julia Polaczek incarne Klara avec une rare justesse. Elle évite les effets, travaille l’intériorité et donne chair à une adolescente qui se débat avec des émotions confuses sans les verbaliser. C’est elle, sans conteste, qui porte le film. À ses côtés, Weronika Kozakowska, en Diana, offre un contrepoint plus excentrique, presque mythologique. Sa présence électrise l’écran, même si son personnage manque parfois de profondeur scénaristique.

Jowita Budnik, actrice confirmée du cinéma polonais, incarne la figure adulte, distante, passive – une mère qui regarde sans voir. Elle est sobre, précise, mais volontairement tenue à distance par le scénario. Ce choix narratif peut frustrer : à force de tout filtrer par le regard de Klara, le film prive certains personnages secondaires de leur complexité.

Une esthétique forte mais parfois démonstrative

Visuellement, Wet Monday est soigné. La photographie de Maciej Twardowski sublime les forêts, les intérieurs humides, les visages silencieux. Les jeux d’ombres et la texture sonore – gouttes, ruisseaux, bruissements – créent une sensation d’enfermement presque organique. On sent que Mytnik accorde une attention extrême à l’ambiance.

Wet Monday de Justyna Mytnik : une immersion sensorielle dans le traumatisme adolescent

Mais cette esthétique, par moments, se prend les pieds dans son propre langage. Certaines scènes oniriques apparaissent sur-signifiantes. Le symbolisme chrétien (l’eau, les œufs, la résurrection) croise des éléments païens (rituels, esprits, magie), sans toujours que la fusion opère naturellement. Il y a là une ambition remarquable, mais qui gagnerait à plus de rigueur dans le dosage.

Un film qui laisse une trace, même imparfaite

En sortant de la salle, on est traversé par une forme de mélancolie diffuse, celle des étés pluvieux, des douleurs tues, des enfances qui basculent. Wet Monday n’est pas un film parfait – il souffre de quelques déséquilibres narratifs et d’une symbolique parfois trop appuyée – mais il touche par son honnêteté émotionnelle. Il ose parler de ce que beaucoup préfèrent éviter : la normalisation de la violence sous couvert de tradition.

Justyna Mytnik signe ici un premier long-métrage fort, porté par une actrice magnétique, et pose les bases d’un cinéma exigeant, sensoriel, qui interroge profondément la mémoire collective et le non-dit. Un regard à suivre, assurément.

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